NOTES
S'il ne les a pas trouvés dans un document tiers qui les combinait déjà, Hugo a tiré les éléments de ce paragraphe concernant le papyrus des deux sources suivantes:
- l'article PAPIER D'EGYPTE de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert: « Les Egyptiens faisoient dans tout le monde un grand commerce de leur papier; ce commerce augmenta sur la fin de la république, & devint encore plus florissant sous le règne d'Auguste; aussi comme le débit de ce papier étoit prodigieux pour les nations étrangères, on en manquoit quelquefois à Rome; c'est ce ce qu'on vit arriver du tems de Tibère; comme on ne reçut à Rome qu'une petite quantité de papier d'Egypte; cet événement causa du tumulte, & le sénat nomma des commissaires, pour en distribuer à chacun selon ses besoins, autant que la disette le permettoit. Plutarque fait voir combien le trafic de ce papier étoit grand, quand il dit dans son traité Colotès: « Ne faudroit-il pas que le Nil manquât de papyrus avant que ces gens-là cessassent d'écrire »? [...] Le commerce de ce papier étoit si grand vers la fin du III° siècle, que le tyran Firmus s'étant emparé de l'Egypte, se vantoit qu'il avoit assez de papier & de colle pour nourrir son armée; c'étoit apparemment du prix qu'il retireroit de la vente de ce papier que Firmus prétendoit être en état de nourrir son armée. [...] Saumaise est très bon à lire au sujet du papier égyptien, dans son commentaire sur la vie de Firmus pas Vopiscus, un des historiens qu'on met au nombre des historiae augustae scriptores. »
- l'article FIRMIUS [orthographe fautive reproduite par Hugo] du Dictionnaire de Chaudon et Delandine: « FIRMIUS, (Marcus) homme puissant de Séleucie en Syrie, se fit proclamer empereur en Égypte, pour venger la reine Zénobie, dont il étoit ami. Aurelien marcha contre lui, le fit prisonnier; et après lui avoir fait souffrir toutes sortes de tourmens, il le fit mourir en 273. C'étoit un homme d'une taille gigantesque et d'une force surprenante. On l'appeloit le Cyclope. On frappoit, dit-on, sur sa poitrine, comme sur une enclume, sans qu'il en ressentit aucune douleur. Le commerce immense qu'il faisoit avec les Sarrasins et les Indiens, lui avoit acquis une grande considération, dans l'Orient. »
Chaudon et Delandine ne mentionnent donc pas l'origine de la fortune de Firmus, dont l'Encyclopédie ignore le surnom et ce qui le lui a fait donner. Leur source commune, l'Histoire Auguste (voir, plus haut, la note à une citation de Lampride), est si peu sûre que nos deux dictionnaires n'hésitent pas à y couper. C'est le chapitre dit du « quadrige des tyrans », rédigé par Vopiscus, qui évoque Firmus, insurgé fortuné dans le sillage de Zénobie plutôt que « tyran »: ... veniamus ad Firmum. FIRMO patria Seleucia fuit: tametsi plerique Graecorum alteram tradunt, ignari eo tempore ipso tres fuisse Firmos, quorum unus praefectus AEgypti, alter dux limitis Africani, idemque proconsul, tertius iste Zenobiae amicus ac socius: qui Alexandriam AEgyptiorum incitatus furore pervasit, et quem Aurelianus solita virtutum suarum felicitate contrivit. De hujus divitiis multa dicuntur. Nam et vitreis quadraturis bitumine aliisque medicamentis insertis domum induxisse perhibetur: et tantum habuisse de chartis ut publice saepe diceret, exercitum se alere posse papyro et glutino. Idem et cum Blemyis societatem maximam tenuit, et cum Saracensis: naves quoque ad Indos negotiatorias saepe misit. Ipse quoque dicitur habuisse duos dentes elephanti, [...] Fuit tamen Firmus statura ingenti, oculis foris eminentibus, capillo crispo, fronte vulnerata, vultu nigriore, reliqua parte corporis candidus sed pilosus atque hispidus, ita ut plerique Cyclopem vocarent. [...] Hic ergo contra Aurelianum sumpsit imperium ad defendas partes quae supererant Zenobiae. Sed Aureliano de Carris redeunte superatus est. (édition citée sous la direction de Nisard, p. 611 sqq.) -
« .... venons-en à Firmus. Il était originaire de Séleucie, même si la plupart des historiens grecs lui donnent une autre patrie dans leur ignorance de l'existence, au même moment, de deux autres Firmus, l'un préfet d'Egypte, l'autre général à la frontière africaine et proconsul. Le nôtre était ami et allié de Zénobie. C'est lui qui, poussé par la colère des Egyptiens envahit Alexandrie et que fit plier le bonheur des armes et la valeur d'Aurélien. On dit bien des choses de la fortune de ce personnage: qu'il avait tapissé sa maison de carreaux de verre collés au bitume ou avec d'autres matériaux, et aussi qu'il possédait une quantité telle de papier qu'il disait souvent être capable de nourrir toute une armée de papyrus et de colle. Il avait des liens commerciaux avec les Ethiopiens et les Sarracènes de l'Arabie heureuse et avait envoyé plusieurs navires marchands aux Indes. On dit aussi qu'il avait deux défenses d'éléphant. [...] Il était de très grande taille, avait les yeux exorbités, les cheveux crépus; il était balafré, noir de visage mais le reste de la peau blanche, encore que poilue et comme écailleuse, si bien que beaucoup le surnommaient le Cyclope. [...] C'est donc cet individu qui se proclama empereur en lieu et place d'Aurélien, pour défendre les régions que Zénobie avait conservées. Il fut vaincu par Aurélien retour de Carras. » Pas de quoi fouetter unn chat et surtout pas de lien entre cette rébellion et le prix du papyrus.
Fable étiologique de l'aventure de Firmus (elle même plus fabuleuse qu'historique), la crise du papyrus inventée par Hugo à partir de pénuries épisodiques, l'est aussi de la disparition du papyrus remplacé par d'autres supports. Cela pouvait satisfaire intellectuellement les lecteurs cultivés, évidemment plus nombreux en 1864 qu'aujourd'hui à connaître l'Histoire Auguste. Satisfaction sans fondement. Les Grecs employaient parfois un tesson pour y inscrire un nom dans les votes; l'invraisemblance de l'extension de ce procédé, telle que « casser un vase, c'était casser un livre », frise la galéjade. Plus sérieusement, Hugo sait, par n'importe quelle encyclopédie -à commencer par celles dont il se sert-, que le payrus a été remplacé non par le parchemin, plus tardif, mais par un papier de coton. Il pouvait savoir aussi -cela se trouve partout et, par exemple, dans le Dictionnaire de la conversation dont il disposait- que la perte des textes antiques a certes été provoquée par le petit nombre de leurs manuscrits, mais aussi par l'habitude prise par les clercs chrétiens de les gratter pour y inscrire leurs propres textes.